Bussang, résister et jouer. Les échappées de la mémoire. Les théâtrales des jeunes en Europe.

 


Photographie : Théâtre du Peuple, Bussang, Vosges. Cliché J.M. Bodson


Je connais "Le Jeu des mille euros" depuis l'époque où il se nommait "100.000 francs par jour", puis "1000 francs par jour" ou encore, "Le Jeu des mille francs". 

Il a suivi l'histoire des dévaluations, avant d'obéir à l'entrée dans une Europe de la monnaie unique. 

Cette succession des titres montre parfaitement que ce "sujet" correspond parfaitement à la devise d'un blog qui touche aux souvenirs, dans toutes les directions.

Sans nostalgie. Seulement parce que ce sont "mes" souvenirs, précieux ou dérisoires, mais "les miens".

Je me souviens de certaines des questions posées et dont j'avais la réponse.

Je me souviens de l'exercice de mémoire un peu pervers que chaque retransmission me proposent, en même temps qu'à des candidats, qui se sont entraînés bien mieux que moi.

En cherchant à rester positif, je me souviens d'abord, chaque jour, de mes années de retraite où, depuis presque dix années, le temps peut parfois me paraître vide.

J'aborde grâce à France Inter une nouvelle étape quotidienne d'un voyage sans fin, étapes proposées depuis mes plus jeunes années.

Ce voyage voudrais sans doute constituer le symbole d'une éternité qui m'échappera, de toute manière.

Mais je me souviens aussi des deux compères : Jean Rochefort et Gérard Jugnot, dans le film doux-amer "Tandem" de Patrice Leconte, que j'ai revu récemment et où justement, à contre courant de la réalité, la fin du jeu constitue le moteur de l'intrigue.  



Tandem.


Je me souviens qu'il faut faire fonctionner les mécanismes qui vont pêcher des informations, le plus souvent sans importance, mais que des fils emmêlés piègent dans des territoires devenus inaccessibles, sans cet effort un peu vain et disproportionné.

Je me souviens que cette perpétuelle exigence de mémoire des faits et des noms, s'est ancrée dans les nécessités des excursions botanique avec des étudiants, visites de terrain qui se sont poursuivies de 1967 à 1999 et pour lesquelles j'avais appris plusieurs centaines de noms latins, ceux des plantes rencontrées en forêt de Fontainebleau, ou sur les côteaux de Chamarande, ainsi que les anecdotes portant sur les noms vernaculaires qui les avaient caractérisées au cours des siècles.

Mais, de manière paradoxale, ce film surgi d'un passé proche (vingt-huit ans) et qui aurait dû seulement me proposer une image désuète de déjeuners en famille autour d'un poste de radio fixe, qui deviendra vite mobile, s'est conjugué avec un lieu étape de mes années européennes : le Théâtre du Peuple à Bussang

Un jeu qui va atteindre les soixante-dix années d'exercice, est venu, sur place à Bussang, célébrer un lieu fondé en 1895 et dont les associés ont choisi de marquer l'année de son cent trentième anniversaire de différentes manières, en dehors même de son programme théâtral annuel. 

Et le "Jeu des mille euros" en faisait partie, comme un prélude aux vacances d'été.




"UBILER : VERBE INTRANSITIF (LATIN JUBILARE, CRIS DE JOIE)
• ÉPROUVER UNE GRANDE JOIE, UNE SATISFACTION PROFONDE QUE L’ON LAISSE OU NON S’EXTÉRIORISER.

Cette saison auront lieu les 130 ans de notre Théâtre, âge vénérable mais qui demeure peu de chose s’il n’était accompagné de sa dimension symbolique.

En effet, qu’est-ce que 130 années pour une pierre, un morceau de fer, des éléments de bois?
Qu’est-ce qu’un si petit morceau de temps pour des brumes, issues d’un infini cycle de l’eau ?

Qu’est-ce aussi à l’échelle d’une planète en marge d’une galaxie, au sein d’un univers qui ne se limite qu’à notre capacité à l’imaginer ?

Ce lieu est unique, magnifique, quelque peu magique, mais à quoi (ou à qui) attribuer sa longévité ? Pas de réponse pour qui jetterait un coup d’œil rapide.
L’extra ordinaire, se situe au-delà de la matérialité. À celle ou celui qui décide de porter son attention plus loin, au-delà des apparences, se révèle le secret. Bois, fer et pierre se sont tenus en place grâce aux paroles et aux gestes d’hommes et de femmes, qui ont mis au service d’une œuvre grande, d’un destin auquel ils ont cru, leur énergie, leur volonté, leurs moyens et leur foi. C’est ce liant -- l’aventure humaine qui a fondé le Théâtre du Peuple -- que nous sommes appelé(e)s à célébrer aujourd’hui."



Scène 1896 © Théâtre du Peuple - Maurice Pottecher


J'ai aimé ce lieu géologique perché entre le plateau lorrain et le fossé d'effondrement rhénan, témoignant d'une éruption ancienne de la terre.

Je l'aimais aussi pour le symbole de résistance qu'il a représenté, dès sa création par Maurice Pottecher, entre deux pays longtemps antagonistes et dont la réconciliation accompagne la durée de ma propre vie, après avoir malheureusement impacté pour le pire celle de ma famille, pendant les trois générations dont j'ai pu recueillir des témoignages directs.

"La vigueur de l’utopie initiale formulée et mise en œuvre avec une sincérité inébranlable par Maurice et Camille Pottecher explique que parmi les multiples expériences de théâtre populaire qui émergent au tournant des XIXe et XXe siècles, seule celle de Bussang a résisté au passage du temps. Elle justifie également l’engagement de tou·tes celleux qui font vivre ou accompagnent aujourd’hui l’aventure."

Mais je ne peux éviter de revenir sur un triste regret et une peine immense.

Le regret porte sur l'incompréhensible suppression d'une expérience méthodologique du programme des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe qui s'est prolongée de 1992 à 2005, sous le nom de "Théâtrale des jeunes en Europe". 

Il s'agissait, à l'initiative d'une conseillère de la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe Catherine Lalumière, Anne-Marie Simon, de relier les sites historiques et contemporains où le langage du corps qui transcende les frontières, avait marqué la mise en scène, par delà les frontières. 

Autrement dit :

"Il s’agissait bien selon les termes de Philippe Henry, universitaire d’une « volonté de prendre en compte les personnes et les oeuvres comme réalités singulières et irréductibles, mais aussi comme réalités parties prenantes et à les intégrer dans une collectivité sociale élargie. Il s’agissait enfin de prendre en compte à la fois des patrimoines européens, des lieux, textes et images, ainsi que des représentations qui ont marqué des étapes essentielles pour la culture du corps. Et ceci des arts de la scène aux arts visuels, de l’oeuvre d’art totale jusqu’au théâtre populaire. Puis de les confronter aujourd’hui entre Européens, praticiens et usagers, créateurs de profession et amateurs, à la réalité des lieux où se jouent les questions fondamentales de la citoyenneté et de l’altérité."

C'est ainsi que le Théâtre du Peuple a accueilli, non seulement des créations impliquant de jeunes artistes, telle Bénédicte Simon et les mises en scène de Pierre Voltz, engagés dans ces rencontres européennes qui étaient préparées à partir d'arguments communs par des élèves, de futurs professionnels, voire des jeunes en réinsertion sociale. Des générations et des cultures, des langues qui se mélangeaient pour quelques jours dans un lieu autant symbolique qu'oecuménique.

Des souvenirs inoubliables dans ce théâtre tout en bois, entouré de forêts et dont la scène, traditionnellement, s'ouvrait sur des hêtres qui semblaient avoir attendus ce moment depuis la création !




La peine porte sur la disparition d'un grand metteur en scène qui a travaillé à Bussang et marqué ce lieu, avant de prendre la direction du Théâtre du marché aux grains de Bouxwiller où je suis venu voir de nombreuses représentations singulières et parfois participer à des répétitions inoubliables, comme "La fille de Molière" et de transgressifs montages inspirées directement ou par métaphores de pièces de Bertolt Brecht. 

Un metteur en scène et acteur qui m'a fait le plaisir d'accompagner la mise en scène et le jeu des acteurs qui ont incarné la vie des personnages de roman du programme "Aux sources de l'Europe" qui a été proposé par l'Association européenne des villes thermales historiques (EHTTA), dans le cadre de l'itinéraire culturel du Conseil de l'Europe, de 2013 à 2015



Pierre Diependaele en visite à Bussang le 25 septembre 2019, peu de temps avant son décès.


   

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Parlons un peu de moi

Manoel de Oliveira (1) Je me souviens du Roi se meurt

Patrice Hugues. Les risques de l'entre-deux.