A Trielle, entre botanique, théâtre du mouvement et danse des jardins
J'étais heureux de constater que la Ferme de Trielle avait augmenté de manière significative sa visibilité sur internet.
Si cette ferme / lieu de création revient dans mes souvenirs, c'est forcément qu'elle est liée aux itinéraires culturels du Conseil de l'Europe et que j'ai eu à plusieurs reprises, le plaisir d'y assister à des spectacles, mais aussi d'y intervenir.
Pour être encore plus précis, ce lieu unique situé dans la zone des estives du Massif Central, a fait partie avec le Théâtre du Peuple de Bussang (pour les "Théârales des jeunes en Europe" et "Les Arts du Geste") des trésors perdus, ou plutôt sacrifiés en 2004 par une Directrice de la Culture qui a cru bon d'éliminer "les itinéraires qui ne sont pas des itinéraires", c'est à dire ceux - selon sa définition personnelle - qu'on ne pouvait pas tracer sur une carte.
C'était certes ignorer que la définition même des itinéraires culturels s'est très vite diversifiée après 1987, ajoutant aux chemins matériels de pèlerinages (1) ou de migrations (2) : des routes de transport ou de commerce (3), des réseaux d'échanges intellectuels et artistiques (4), voire des signes et lieux d'influences culturelles, philosophiques ou scientifiques (5).
Ainsi "Les arts du geste" ont-ils été rayés de la liste (6).
Malgré le fait qu'elle ait été limogée ad nutum après un an et demi "d'exercice" par le Secrétaire général de l'Institution, en jurant qu'elle entreprendrait une thèse sur le sujet (7), certains dégâts qu'elle a causés par ses décisions, plutôt impulsives que raisonnées, n'ont jamais été réparés.
Les exercices méthodologiques sur certains pans de la création artistique cités ci-dessus et souhaités par Catherine Lalumière - comme l'itinéraire des Parcs et Jardins qui a eu la chance d'être épargné en 2004 - étaient pourtant en parfaite conformité avec les critères du Règlement !
Mais, revenons à mon témoignage sur la Ferme de Trielle que le site et la page facebook présentent sur une vidéo.
Tout commence avec Jacques Lours dont la photographie figure en tête de ce post. Sans oublier l'importance de Marie, sa compagne et collaboratrice.
Un homme d'action que le site décrit très poétiquement :
"S'il était d'un pays lointain, il serait de Haute-Volta
Parce que patrie des hommes intègres
Mais lui c'est la Haute Auvergne qui l'a façonné.
S'il était un pouvoir il serait l'engagement
Car le sien, il l'a chevillé au coeur depuis près d'un demi siècle
Fidèle à l'utopie, la lumière de l'idée
Bâtisseur d'un lieu qui marierait l'art et puis la Nature.
Bâtisseur de liens, et généreux dans l'Âme.
S'il était un animal lointain il serait un lion
Mais lui c'est Jacques Lours car il est de Thiézac.
Et s'il était un poème, il serait Kipling."
Que puis-je ajouter ?
Sinon que je l'ai vu à l'oeuvre avec les jeunes qu'il ramène à la société en les guidant sur les chemins de montagne à aménager et à entretenir, pour qu'ils puissent eux-mêmes se mesurer au naturel versus l'artificiel.
Que je l'ai vu à l'oeuvre dans l'accueil chaleureux des marcheurs, comme des danseurs et des mimes, des enseignants et des élèves.
Que j'ai senti son âme, ce qui est tellement rare !
Mais je me dois de confesser que j'ai connu là, une des plus grandes émotions dans le cadre de mon travail depuis presque quarante ans avec et pour les Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe et l'Institut européen des Itinéraires culturels.
Avec l'idée de montrer - ou plutôt d'expérimenter - l'extraordinaire plasticité intellectuelle et sociale d'un projet d'itinéraire touchant les Parcs et les Jardins et le paysage dont j'ai déjà déploré qu'il se réduise aujourd'hui seulement à la culture savante et "légitime" selon la définition qu'en a donnée Pierre Bourdieu : celle des jardins historiques.
J'ai eu l'occasion de l'écrire en 2002. Parmi d'autres caractéristiques essentielles :
"Par la diversité des pratiques qu’ils engagent, les parcs, les jardins et les paysages peuvent permettre un exercice de confrontation des savoirs. Les métiers qu’ils impliquent pour leur maintien et leur entretien sont multiples et rendent nécessaires des réactualisations constantes."
L'occasion m'a ainsi été donnée, grâce à la proximité de l'environnement naturel et grâce à l'équipement professionnel d'une salle adaptée à la danse et surtout à la collaboration avec un danseur exceptionnel de liberté et d'improvisation : Louis Ziegler, avec lequel j'étais déjà intervenu à Zagreb sur le thème de l'improvisation autour de tissus de Patrice Hugues et des tissus traditionnels extra européens, de travailler avec les élèves d'un collège d'Aurillac accompagnés d'enseignants de différentes disciplines.
Le programme comprenait :
- Une excursion botanique dans l'environnement d'une estive située à mille cent mètres d'altitude.
- Une recherche au cours d'un repas commun des aliments qui n'auraient pas pu figurer dans les assiettes avant 1492 et la découverte de l'Amérique.
- Une soirée dansée à partir de la lecture et de l'interprétation corporelle des plans de jardins historiques, depuis la Renaissance jusqu'au "Jardin en mouvement" de Gilles Clément. Chaque élève disposant de photocopies des plans des jardins retenus et bien entendu, de la possibilité de commenter, d'interroger, de se projeter, en relation avec mes commentaires et avec la chorégraphie improvisée.
Mes plus grandes surprises et en même temps mes meilleurs plaisirs ont certaine étés, en dehors de la richesse du partage, le fait qu'un des élèves, à la fin de la soirée, vienne me confier : "En fait il s'agissait d'une soirée contée" et que, lors du repas, les enseignants de mathématique ou de langues se soient sentis aussi perdus, en ce qui concerne l'origine historique de leur alimentation, que les élèves eux-mêmes.
Juste retour de la communication, sans la barrière souvent trop contraignante des savoirs.
J'ai retrouvé avec joie la méthode pédagogique de redécouverte que j'ai utilisée dans mon enseignement des travaux pratiques de Botanique à Paris VII.
Clichés : Copyright Ferme de Trielle.
(1) Chemins de Saint-Jacques de Compostelle, Via Francigena, Chemins de Saint Olav, Romea Strata, ou encore Chemin de Saint François.
(2) Sur les pas des Huguenots et des Vaudois, Via Regia, ou Itinéraire Pyrénées Liberté.
(3) Via Regia, La Hanse, ou la Route des Phéniciens.
(4) Voies européennes de Mozart, Réseau Art nouveau Network, ou Route de la céramique.
(5) Route européenne des Pharmacies historiques et des Jardins médicinaux, Destination Le Corbusier, ou Route Alvar Aalto. Sans oublier un programme Interreg portant sur les signes européens dans les noms des lieux : "Ma ville en Europe - My european city" dont l'Institut européen des Itinéraires culturels a été partenaire.
(6) Il y a 50 ans Hélène Canis Maire de la Commune de Thiézac, Claire Heggen, Yves Marc, jeunes artistes à l’aube d’une carrière internationale créent l’association culturelle de la Haute Vallée de la Cère qui rassemble quatre communes et la station du Super Lioran pour développer un programme culturel autour des arts du spectacle avec stages, concerts, spectacles, expositions.
(7) Le travail de recherche de la Directrice, devenue Maîtresse de conférences à l'Université de Haute Alsace a finalement porté sur un thème qui touche sa propre famille : les Saxons de Transylvanie.
(8) A lire : Pierre des volcans d'Anne-Marie Simon-Parneix.
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