Un été meurtrier. La disparition d'Alfred Brendel.
Dans le discours prononcé à Stockholm, Imre Kertész évoque sa propre mort :
« Pourtant, pendant que je préparais ce discours, il m’est arrivé une chose très étrange qui, en un certain sens, m’a rendu ma sérénité. Un jour, j’ai reçu par la poste une grande enveloppe en papier kraft. Elle m’avait été envoyée par le directeur du mémorial de Buchenwald, M.Volkhard Knigge. Il avait joint à ses cordiales félicitations une autre enveloppe, plus petite, dont il précisait le contenu, pour le cas où je n’aurais pas la force de l’affronter. A l’intérieur, il y avait une copie du registre journalier des détenus du 18 février 1945. Dans la colonne « Abgänge », c’est-à-dire « pertes », j’ai appris la mort du détenu numéro soixante-quatre mille neuf cent vingt et un, Imre Kertész, né en 1927, juif, ouvrier."
J'ai retrouvé ce texte dans un post du 11 janvier 2009.
Et j'ai eu envie de le joindre à un trop rapide commentaire publié sur facebook le 17 juin dernier :
"J'apprends avec une infinie tristesse la disparition du grand artiste Alfred Brendel que j'ai eu la chance, grâce à Maria Majno, de rencontrer par deux fois à la Philharmonie de Luxembourg, pour l'un de ses derniers récitals publics et pour un déjeuner à Fidenza où il était venu assouvir sa soif de l'art roman de l'Emilie Romagne qui était devenue sa passion de "retraité".
Il avait quitté la scène et son piano en 2008 mais certainement pas le monde de la musique et des arts, prodiguant encore des conseils à ses jeunes collègues.
Il vient de s'éteindre à Londres à l'âge de 94 ans."
Il est rare que la disparition d'une personnalité que j'ai connue au cours de deux siècles d'amour de la musique classique - disparitions de plus en plus nombreuses, mon âge aidant - me laisse aussi démuni pendant quelques jours.
Et pourtant, ses enregistrements sont nombreux.
Mais j'ai eu, pendant ces quelques jours, un sentiment de proximité, comme pour le départ d'un proche.
Il y avait bien sûr l'amusement de l'avoir vu après un concert soigner la pulpe de ses doigts précieux, comme des trésors qu'il aurait exposés en public ou dont il aurait ainsi fait don à ses auditeurs.
Mais je ressentais vivement, comme un présent (au deux sens du terme) sa proximité amusée à la table du restaurant "Il Duomo" où une partie des convives, à l'exception de Maria et d'Annie Sacerdoti, ne l'avaient pas reconnu.
Evoquer ainsi la présence précieuse d'Annie me ramène au Kaddish.
A ma manière d'agnostique !
Une présence - absence qui prend une place étrange aujourd'hui dans mes souvenirs et mes regrets.
Je découvre de matin dans la notice qui lui est consacrée, deux mentions qui me touchent encore plus :
"En 1984, il participe, sous la direction de Neville Marriner, à la bande originale du film Amadeus de Miloš Forman.
En 1989, Chantal Akerman consacre à Alfred Brendel un documentaire intitulé Les Trois Dernières Sonates de Franz Schubert."
Mais c'est Mozart que j'ai de nouveau envie d'entendre sous ses doigts fragiles : le concerto "JeuneHomme" composé en 1777 et qu'Alfred Brendel donna régulièrement lors de sa tournée d'adieu.
Clin d'oeil, humour ? Hommage à la mystérieuse française à qui l'oeuvre semble dédiée.
J'aime ces télescopages de l'histoire. Ils me sont précieux !
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