Je croyais me souvenir de Paris Texas.
Je pensais que j'avais vu tous les films de Wim Wenders.
C'était bien sûr me prendre pour un super cinéphile tant la liste, que je viens de consulter pour rédiger ce post, est terriblement longue.
Mais, au plus près de ces dernières années, je reste sur la fascination que j'ai éprouvée pour "Perfect Days", sorti en salle il y a deux ans.
Il me restait aussi en tête cette présentation en 3D nécessitant des lunettes colorées, comme au Cinéac de la Gare Saint Lazare de mon enfance, étrange lecture pénétrante de tableaux, préparée pour accompagner l'exposition consacrée à Edward Hopper à la Fondation Beyeler de Bâle, il y a cinq ans.
Et, surtout, m'est revenue cette descente dans la salle de projection du Centre Pompidou en 1989 pour assister, en présence du cinéaste, à la projection de "Carnets de notes sur vêtements et villes", saisi avec une caméra numérique entre le Japon et Paris, sur la trace du créateur de mode Yohji Yamamoto dont le show-room se trouvait rue Saint Martin, à quelques pas de l'appartement où j'ai logé quelques années.
C'était à l'époque où je continuais à suivre de près les défilés de mode, tandis que le Conseil de l'Europe m'avait confié un travail sur les Routes de la Soie.
Et comment oublier "Les ailes du désir" en 1987 qui m'avait laissé sans voix. Impossible !
Il est évident que je l'avais vu et admiré, comme les millions de spectateurs, changés en anges berlinois, le temps d'une projection !
Mais "Paris Texas", sorti en 1984 ?
C'est en regardant Arte, cette semaine, afin de faire revenir les souvenirs et fêter une sorte d'anniversaire, que j'ai bien dû prendre conscience...que je ne me souvenais pas.
Et pour cela, il a fallu que je regarde jusqu'au bout ! (1)
Je ne vais pas me paraphraser. Voici ce que j'écrivais à la sortie de l'exposition de Bâle où j'avais fait étape après la période de Noël, en remontant d'Evian à Strasbourg où la Covid m'a surpris et confiné jusqu'en mai :
"Depuis que j’ai eu la chance d’assister à la première projection de « Carnets de notes sur vêtements et villes » (Aufzeichnungen zu Kleidern und Städten) au CCI dans la salle du Centre Pompidou, grâce à son amie, Marion Guilbert, la styliste également proche de Pavel Lounguine, qui nous avait beaucoup apporté pour l’exposition « La Mode, une Industrie de pointe », je me sentais un peu orphelin, abandonné par l’immense talent d’un maître de l’innovation formelle au service de l’imaginaire, même si les documentaires sur le « Buena Vista Social Club » et sur Pina Bausch, m’ont consolé de cet éloignement relatif. Pour suivre les pérégrinations de Yohji Yamamoto entre Paris et Tokyo, il avait inauguré avec talent l’utilisation de la petite caméra numérique. Aujourd’hui, comme pour Pina, il utilise la caméra 3D pour faire cette fois une effraction dans une œuvre pourtant a priori impénétrable."
Et c’est une réussite d’une étrangeté à la hauteur de son compère, le peintre disparu en 1967 !"
Alors, d'où venait ce sentiment persistant de "déjà vu" ?
Je pense que c'est dû au fait que deux scènes du film reviennent en boucle sur les réseaux sociaux consacrés au cinéma et que je me suis fait piéger :
Une blonde qui arrange ses cheveux, derrière un miroir sans tain.
Un homme coiffé d'une casquette, un barbu épuisé et hagard, marchant sur les traverses d'une ligne de chemin de fer, en plein désert. Marchant vers nulle part.
Et un lien fort entre les deux. Mais quel lien ?
Le narratif me faisait défaut, parce que ces deux images avaient ébloui mon regard.
Mais des stations d'essence, des cafés, des magasins fourre-tout, des vitrines qui laissent deviner des êtres solitaires, comme des couples enfermés dans leurs solitudes croisées.
Des scène d'Edward Hopper.
Est-ce là que se situait la faille de ma mémoire ?
Dans ces étranges tableaux figurant des lieux improbables, situés au milieu de nulle part. ou pour mieux dire : rendus inexistants grâce à un surcroît de précision picturale.
Les lieux du paradoxe !
Et me voilà devant une lucarne magique, comme si les Frères Lumière me proposaient un miracle. Mais c'est Wim Wenders qui me glisse à l'oreille pour que j'écrive :
"C'est cela le cinéma. Un écran qui rend le visible invisible, un miroir dans lequel le spectateur va se refléter, ou bien confondre son visage avec le visage de celle avec laquelle il se confronte. Celle qu'il aime tellement fort, au point de lui tourner le dos pour lui parler. Celle dont l'image est au bout du chemin et qu'il faudra inexorablement quitter, quand il l'aura retrouvée, quand il lui aura transmis un enfant abandonné, leur fils."
La projection paradoxale de ce qui nous sépare quand tout nous réunit.
Toute l'histoire du cinéma, depuis la première projection jusqu'à la dernière :
Celle de 1989, en présence de l'artiste ?
Celle de 2020, ouvrant un confinement proche et prévisible ?
Celle de 2024, boulevard des Gobelins, dans une salle presque vide ?
Toutes ces dernières projections à la fois, mais toutes des premières fois !
Un vrai miracle !
Paris, Texas, depuis Paris, France.
Et le globe entier totalement explosé, totalement exploré, totalement exposé, dans le regard du sourd.
Des rues de Tokyo à celle du Paris dont je parcours les traces depuis plusieurs mois.
Wim Wenders est un génie. Et sa lampe est magique.
(1) Disponible sur la chaîne Arte jusqu'au 15 novembre 2025.
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