Je me souviens…de la première rencontre avec Marie Louise Gräffin von Plessen



Parmi les amis qui m'ont parlé concrètement des débuts du Centre Pompidou de Paris, Marie-Louise Gräffin von Plessen, compagne de Karl Gunnar Pontus Hultèn, premier Directeur artistique du Centre, disparu en 2006, figure en première place.



Karl Gunnar Pontus Hultèn 


Je l'ai rencontrée pour la première fois virtuellement, grâce à son travail, à Weimar, ville devenue capitale européenne de la Culture en 1999. Elle avait préparé en extérieur une exposition de panneaux illustrés proposant une interprétation de la longue histoire de la ville (De Goethe et Schiller à la République renversée par Hitler et enfin Buchenwald). 

J’avais eu la chance d'admirer l'érudition cette installation dans le cadre d’une réunion des « Rencontres », une association réunissant les élus à la culture des villes d’Europe. 

Je ne peux oublier l'émotion soulevée par la visite du camp de concentration en compagnie de Jack Ralite, disparu en 2017, éphémère ministre communiste dans le premier gouvernement de François Mitterrand en 1981 et fervent supporter du Théâtre d’Aubervilliers.



Camp de Buchenwald

MÉMOIRE Weimar est un condensé de la culture et de l'histoire allemandes. Ville de Goethe, de Schiller ou encore de Nietzsche, nom de la première République... TÉMOIN des deux dictatures (nazie et communiste), la ville a aussi été le lieu des crimes commis en son sein ou non loin de là dans le camp de concentration de Buchenwald. LES MANIFESTATIONS de « Weimar, capitale culturelle de l'Europe », qui se déroulent tout au long de cette année, s'interrogent sur cette mémoire et se placent justement dans une perspective temporelle. Sous forme de spectacles et d'expositions, elles sont une invite « à ne pas toujours penser la nouveauté, mais à penser le vieux de manière nouvelle ». ROMAN HERZOG, le président de la République fédérale, devait inaugurer vendredi 19 février les festivités.1999, année de tous les anniversaires. C'est sans doute pour cette raison que Weimar fut préférée à Avignon et à Bologne comme « capitale européenne de la culture ». 1999, année du 250e anniversaire de la naissance de Goethe, du 240e de la naissance de Schiller, du 80e de la création du Bauhaus et de la Constitution de la première démocratie allemande. Et si l'on s'éloigne un peu de Weimar, 1999 permet de célébrer le cinquantenaire de la République fédérale d'Allemagne, et le 10e anniversaire de la chute du mur de Berlin.



Schiller et Goethe

Weimar, c'est un condensé de la culture allemande. Pour s'en convaincre, il suffit de se promener dans l'ancien cimetière, après avoir rendu hommage à Goethe et Schiller, qui reposent côte à côte dans la crypte des ducs de Saxe-Weimar. Comme ils sont côte à côte sur la place du théâtre national qui vit tant de leurs « premières ». Qui abrita aussi l'Assemblée nationale en 1919, quand les députés fuyaient Berlin en proie aux convulsions révolutionnaires. Proclamée par le social-démocrate Friedrich Ebert, la République porte le nom de Weimar parce qu'elle préféra la petite ville où flottait « l'esprit » de Goethe et de Schiller à Potsdam, symbole du pouvoir à l'état pur. Weimar-Buchenwald, coexistence des lettres et du crime. La tentation est forte d'opposer ces deux faces de l'Allemagne.



Goethes Gartenhaus


A ma demande, elle a envoyé un très beau texte sur ce travail pour la réunion du Conseil de l'Europe à Sibiu lors de la campagne « L'Europe, un patrimoine commun », cette même année.

En 2000, elle a accepté d’intervenir au château de Bourglinster au Grand-Duché de Luxembourg pour le colloque de l’Institut européen des itinéraires culturels (IEIC) intitulé « Fortification – Défortification », en présentant son approche inclusive de l’exposition « Mare Balticum ».

Elle y reviendra en 2004 lors de l’inauguration officielle de la salle Robert Krieps de l’Abbaye de Neumünster, pour participer à la table ronde sur l’Europe et une exposition de panneaux en relation avec l’exposition « Idee Europa – Entwürfe zum « Ewigen Frieden », une paix éternelle, bien remise en cause en Europe depuis un an.



A l'Abbaye de Neumünster


Elle répondra de nouveau à l’invitation de l’IEIC en 2001 à Saint-Jacques de Compostelle, l'une des capitales européennes de la culture cette année-là, ou encore au Puy-en-Velay en 2007 pour le XXème anniversaire des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe.

 


Au Puy-en-Velay


Elle restera, essentiellement par amitié - et reste - une compagne attentive des itinéraires  culturels, intervenant en 2010 à l’Abbaye de Neumünster à Luxembourg, dans la foulée de son travail constant sur les rapports franco-allemand, où les portraits des symboles historiques de Marianne et Germania, exposées à Berlin et Paris, magnifient les meilleurs ennemis européens depuis 1870, avant une réconciliation que les chefs d’Etats des deux pays portent souvent à bout de bras, sinon dans leur cœur.




On lui doit également dans ce contexte : « Bismarck, la Prusse, l'Allemagne et l'Europe » dont l’ouverture s’est déroulée de manière contemporaine à la chute du Mur de Berlin.

Comme l’écrivait « Le Monde » :

« Marianne est une solide jeune fille, de mœurs irréprochables malgré une certaine propension à se dépoitrailler en public. Germania est une non moins plantureuse jeune femme mais nettement plus pudibonde. A défaut d'être tout à fait sorties du même moule, ces deux créatures semblent tirées d'étagères rapprochées du même magasin aux accessoires. Les disputes de ces sœurs ennemies ont souvent été retentissantes ­ les voisins en savent quelque chose. Mais, comme tout finit par une exposition, ces duettistes fameuses partagent aujourd'hui, tous émois apaisés, les cimaises du Petit Palais, après avoir copiné quelque temps à Berlin.

Ce qu'elles donnent ainsi à voir, c'est la France et l'Allemagne se regardant se regarder chacune au miroir de l'autre un long siècle durant (1789-1889). Peu de pays en effet se sont, tour à tour, autant admirés et si fort détestés que ces deux-là. Leurs passions, en l'espèce, ont été fortes mais modernes, donc idéologiques. Ainsi n'est-il que logique que la Révolution de 1789 serve de point de départ à l'exposition, puisque c'est autour de cet événement que le futur dispositif d'amour-haine transrhénan s'est mis en place. »




Notre dernière rencontre a eu lieu à Sibiu en Roumanie lors d’une des réunions du programme Interreg de l’Association « Graine d’Europe » intitulé « Ma ville en Europe – My European city ». 

Une série de rencontres consacrées à la recherche des traces, des inscriptions, des lieux dits qui avaient marqué dans quelques villes, comme Nantes en France ou Stettin en Pologne, la traversée temporaire, ou plus pérenne, des relations multilatérales où les voyageurs, les commerçants et surtout les guerres et les empires ont laissé leurs marques.

Un programme qui s’inscrivait parfaitement dans la logique des itinéraires culturels du Conseil de l'Europe.



A Sibiu


Dans une autre continuité, elle a élaboré le concept « d'Exposition sentimentale » qui l'a amenée à faire par exemple le portrait de la Prusse, de Mozart à Vienne ou du Prince Eugène de Savoie toujours à Vienne (qu'elle présenta à Sibiu), ou encore le portrait de fleuves comme L'Elbe ou le Rhin.

Toujours « Le Monde » :

« Sous le patronage d'Érasme, rappelant en 1516 que le Rhin est la patrie commune de la Chrétienté tout entière, ou de Victor Hugo écrivant en 1842 que « sous la transparence de ses flots, on peut entrevoir le passé et l'avenir de l'Europe », les quelque 350 objets rassemblés sont un exemple parfait d'histoire croisée et d'histoire totale. Allant de la préhistoire à nos jours, l'exposition multiplie les points de vue en jouant avec le temps et l'espace. Elle évoque bien sûr l'histoire de la navigation et de la régulation du fleuve ainsi que son importance - hier comme aujourd'hui - commerciale, industrielle et mondiale. Le parcours s'achève d'ailleurs sur une projection panoramique de l'Europort de Rotterdam. Ce gigantesque complexe situé à l'embouchure du Rhin est le plus grand port de commerce d'Europe. »

 


Fontaine Stravinsky


La manière dont elle racontait sa complicité avec Daniel Spoerri, Jean Tinguely ou Niki de Saint Phalle, artistes également très proches de Pontus Hultèn, ne peut pas s'oublier.

J’y repense bien entendu à chaque fois que je passe devant la fontaine Stravinsky de la petite place qui jouxte le Centre Pompidou, où le ballet de l’eau sorti des « Nanas », rivalise avec le mouvement sans fin d’engrenages ravis de leur inutilité matérielle !

J'espère que nos routes – nous appartenons à une même génération - se croiseront de nouveau !

Sa venue en 2019 au siège de l’Institut Européen des itinéraires culturels pour un projet sur « Les chevaux et le patrimoine » m’a fait souvenir qu’elle est aussi une cavalière émérite, amoureuse de l’Ecole d’équitation espagnole de Vienne.

C’est une des raisons qui m’avait convaincu de l’inviter, avec Ion Caramitru, à faire partie du groupe d’experts qui a visité en Castilla-la Mancha les lieux d’un itinéraire potentiel sur Don Quichotte.

Equitation sur Rosinante pour l’une et théâtres ouverts des villages pour l’autre. Moulins à vent pour tous.






Avec Ion Caramitru dans un moulin de Castilla-la Mancha


J’aimais ce temps où les experts, proches des Itinéraires culturels, travaillaient ensemble et de manière très largement pluridisciplinaire et rendaient leurs avis en commun, après de larges discussions sur le terrain.

Mais Don Quichotte ne cherche plus à combattre les moulins. Il est certainement à la retraite et écrit régulièrement : « Je me souviens ».    

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